Avec Les Aquatiques son œuvre au titre évocateur, Osvalde Lewat s’inscrit remarquablement dans l’univers des lettres en se démarquant du roman qui se focalise sur l’évasion de la réalité en quête d’un monde imaginaire et merveilleux. Aussi, son livre nous plonge dans une intrigue qui tire sa source dans les abysses des problématiques actuelles, sans fioritures.
Dans ce texte de trois parties déclinées en 26 chapitres, nous sommes embarqués dans le parcours initiatique de Katmé, cette jeune fille au caractère conciliant qui a accepté des concessions par convenances sociales. Seulement, elle est confrontée aux cruelles réalités de la vie lorsque son ami homosexuel est emprisonné, libéré puis assassiné par une foule débridée. Nous arpentons ainsi les affres de l’absence de la mère, la séparation d’avec l’unique sœur réfugiée dans un monastère, les aspérités de la vie conjugale, les méandres de l’adultère, le carriérisme politique d’un conjoint ambitieux, les labyrinthes scabreux autour de la mort, les péripéties de l’amitié ou les dédales de la liberté. Malgré l’aisance financière et sociale agrémentée par le poids des devoirs familiaux, cette assoiffée de liberté décide de déconstruire ses anciens paradigmes et de se séparer de son mari pour se retrouver avec elle-même. Dans cette perspective, elle décide de cesser de vivre au rabais de soi-même ; les compromis mis bout à bout ne font pas une vie. Se hisser à hauteur d’elle-même. Elle peut alors tourner le dos à la petitesse et affirmer en toute confiance : I am big. It’s my former life that got small. p.339
Sur cette lancée, nous sommes happés en pleine immersion dans le quotidien et le mode de vie des milieux cossus ou défavorisés, dans leurs antagonismes criards, en ville ou en campagne, dans les subtilités drues de nos microcosmes familiaux et sociaux, dans les universités, dans les palais ou les ghettos. Nous nous abreuvons alors de ce puits fabuleux de connaissances sociologiques , anthropologiques et historiques sur notre environnement avec les détails poignants que la plume d’une observatrice lucide sublime par des descriptions pittoresques, des mots de tous les jours côtoyant suavement un vocabulaire spécialisé et des concepts philosophiques dans un cocktail arc-en-ciel et d’un humour caustique où surgissent des pépites à l’instar de Le Seigneur de Mama Récia, chorégraphe du supplice, metteur en scène de la rédemption ou le chagrin spectaculaire p. 235, Les pauses mangement sur le bord de la route, et le pipi dans la brousse en p. 63 ou avec un clin d’œil à certaines générations, asticot vantard, chien vert. p. 79
Dans cette perspective, nous sommes portés à la réflexion sur cette toile complexe d’un espace énigmatique, Zambuéna, qui ouvre tous les possibles, avec ses personnages hauts en couleur auréolés par une onomastique significative, sur des thèmes autour du déterminisme spirituel et social, le syncrétisme religieux et culturel, la place de la femme dans la société, le mariage et ses motivations, les mystères de la plastique féminine, les arcanes de la politique, l’amour maternel, l’adoption, la culpabilité ou le sacerdoce.
L’occasion est alors idoine pour décocher des flèches incendiaires contre les dépenses et les artifices autour des obsèques, les traditions et les croyances inappropriées, les tabous et leur incidence nocive, l’état délétère de nos infrastructures avec des universités et des voiries urbaines à mieux entretenir. C’est aussi l’opportunité pour s’inscrire en faux contre le patriarcat et les violences conjugales, les égarements du carriérisme politique qui nourrit le népotisme, la corruption ou le clientélisme et de dénoncer les stigmatisations ou les marginalisations, avec pour point d’orgue celle contre les homosexuels.
Heureusement que dans cette diégèse sombre, la romancière célèbre l’amitié, l’amour, la liberté, l’identité et l’authenticité en élevant une ode lancinante en faveur du droit à la différence et à la tolérance en toute responsabilité.
C’est dans cette ligne de pensée que le style osé et alerte de l’auteure se déploie en une savoureuse délectation esthétique avec des images lumineuses, des parlers du terroir sertis de camfranglais, des passages en anglais ou en latin, et l’évocation de nos délices culinaires auxquelles nous nous identifions spontanément. Aussi, elle marie avec dextérité les dictons et les proverbes pour tourner en dérision nos duplicités et nos retournements de veste au gré des intérêts avec une ironie corrosive.
En somme, dans ce roman qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière page, Osvalde Lewat démystifie judicieusement les tabous autour de notre être-au-monde dans une posture éminemment existentialiste. Dans le sillage de la veine naturaliste, cette esthète passe au scalpel, notre être intérieur avec ses lâchetés et ses soubresauts en mettant en exergue la responsabilité de l’homme avec un parti pris appuyé en faveur de la liberté et de l’amour désintéressé pour rendre notre planète plus humaine et solidaire. Avec une plume libérée du diktat du silence pour dénoncer les traditions et les doctrines nocives à l’épanouissement, la romancière nous invite à une introspection salutaire pour passer nos choix de vie au crible de la raison critique, en reprenant ces termes chers à Marcien Towa afin de confronter nos fantômes intérieurs en toute probité. Dans cette perspective, la voie est balisée pour frayer notre chemin avec détermination et originalité en exaltant la quête de la liberté, en toute authenticité loin de tous les carcans sociétaux.
Josée MELI AMBADIANG, Critique littéraire