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La mort annoncée de la lecture au Cameroun n’aura pas lieu

Depuis quelques temps sur les réseaux sociaux, on voit des Camerounais rivaliser d’ingéniosité en comparant, au travers de la formule « Il y avait quoi avant ?», les acquis d’une époque lointaine à la situation d’aujourd’hui. Je pense que l’idée selon laquelle « les Camerounais ne lisent plus » pourrait bien être l’une des variantes décalées de ce trend. Encore que sur ce sujet, ce serait encore là un avis indulgent face aux personnes qui estiment purement et simplement que les Camerounais ne lisent pas.

Ce désintérêt viendrait en particulier de nos jours du glissement de notre société vers l’ère du digital. Ainsi, les réseaux sociaux y seraient-ils pour beaucoup avec leur lot quotidien de buzz, de clashs et de scandales. Et de manière plus générale, l’offre obèse d’activités de divertissement, aujourd’hui, n’inciterait pas à s’intéresser aux livres. Conséquence, même lorsqu’on bouquine, la lecture ne serait plus de qualité car les séquences sont éphémères et moins profondes. On est loin des souvenirs exquis de nombreux écrivains sur cet acte enchanteur.

Cette opinion majoritaire est renforcée par le fait que plusieurs personnes estiment que dans un climat de crise ambiante, il y a des occupations prioritaires comme la recherche du pain quotidien et d’autres activités pratiques du même ordre. Par ailleurs, la difficulté à trouver des lieux de lecture n’encourage pas à aller à la quête de ces derniers. Il est vrai qu’en dehors des centres culturels étrangers et de quelques initiatives souvent privées ici et là, l’offre de bibliothèques ne brille pas particulièrement par son abondance dans nos villes et nos villages.

 Mais je suis de ceux qui pensent qu’il faudrait fortement nuancer cette idée répandue que les Camerounais abhorrent la lecture. D’abord, parce que j’ai remarqué que les événements autour du livre rencontrent un succès populaire probant pour autant qu’ils soient bien organisés. Dédicaces de livres par leurs auteurs, salons et conférences autour de thématiques abordés par les livres, etc. attirent un public passionné. Et lors de ces occasions, les livres se vendent bien pour dire le moins. Dans ce registre, les braderies d’ouvrages tiennent une place spéciale : le succès de l’achat des livres en vient toujours à laisser les organisateurs stupéfaits. Or, c’est en premier lieu pour la disponibilité des livres et leur accessibilité par le prix que les gens se déplacent souvent en masse.

Ceci vient battre en brèche, même en partie, l’argument selon lequel les lieux de lecture seraient déserts. Et puis, de nos jours, ne pas lire dans une bibliothèque ne veut pas dire qu’on ne lit pas chez soi. Il faut aussi se demander si ces lieux sont bien ouverts à certains publics et si l’offre d’ouvrages est variée. On oublie souvent le fait que les gens veulent aussi lire les histoires dans lesquelles ils se reconnaissent de manière plus directe, par exemple via les lieux géographiques connus ou à travers des personnages qui leur ressemblent. Qui ne se souvient pas de certains livres sulfureux qui ont marqué l’actualité chez nous et pour lesquels les uns et les autres avouaient avoir dormi à trois heures du matin pour en savourer la dernière phrase ? Mongo Beti, qui a été libraire, a affirmé à son retour au Cameroun qu’il trouvait les gens curieux et que ces derniers avaient un fort besoin de s’informer en lisant. À l’opposé, certains libraires se plaignant de la baisse ou du désintérêt de la lecture par les Camerounais semblent être davantage des vendeurs de bouquins scolaires lors des rentrées, se contentant de se croiser les bras le reste de l’année.

Un aspect important dans la thématique qui nous intéresse est le fait que l’on néglige la complémentarité du contenu digital aujourd’hui lorsqu’on parle du livre ou de la lecture. Sur les devises, il y a certes une concurrence avec la disponibilité facile des jeux vidéo, des réseaux sociaux ou des films. Le phénomène peut encore plus prégnant chez les jeunes, au moment où se prennent ou pas les bonnes habitudes relatives à l’Entertairnment ou à l’infotairnment. Dans un tel contexte, s’il n’y a ni livre physique, ni livre numérique, la seule option sera bel et bien la série populaire du moment. Pourtant, il peut y avoir une complémentarité avec le numérique si dans sa tablette ou son smartphone, l’utilisateur peut trouver ses livres et avoir une expérience satisfaisante. J’ai pu voir à titre personnel, l’engouement des plus jeunes pour la lecture à travers un projet que nous avions mené sur le digital lorsque je travaillais au sein d’une entreprise. En quelques semaines et sans une publicité importante, la plateforme avait généré un nombre fulgurant d’utilisateurs. De plus, il y a eu en peu de temps de nombreuses requêtes sur des livres qui n’étaient pas encore disponibles, et ces requêtes insistantes montraient la soif de lecture des utilisateurs de la plateforme. 

Toutefois, cela ne veut pas dire qu’en tant qu’acteurs de la chaîne du livre, nous ne devrions pas redoubler d’efforts pour inciter davantage de personnes chez nous à lire plus pour s’informer, se cultiver ou se divertir, et idéalement dès le bas-âge.  

Contrairement à ce que l’on peut croire, les gens ont besoin de lire davantage des autrices et des auteurs et locaux, non seulement ceux qui sont publiés ailleurs, mais ceux qui produisent localement. C’est le devoir de l’industrie locale du livre de travailler à fabriquer et à diffuser des livres de qualité tant sur le fond que sur la forme. Un accent particulier doit être mis sur la maîtrise des langues utilisées- essentiellement le français et l’anglais pour le moment. Il faudrait par ailleurs renforcer d’autres aspects comme la connaissance des genres, la maîtrise du récit ou la création des personnages pour ce qui est de la fiction. Cela suppose aussi que chez les éditeurs, il existe des comités de lecture compétents, des relecteurs efficaces ou encore des proofreaders formés.

Le débat sur le prix du livre reste ouvert. Il revient assez souvent comme un obstacle à son acquisition. Il est possible en effet qu’il existe un lectorat qui achèterait plus d’ouvrages s’ils étaient plus accessibles du point de vue financier. Sur cet aspect, il est indéniable que les auteurs et les éditeurs ont encore un gros effort à fournir. Plus globalement, les bonnes initiatives de diffusion du livre qui s’adaptent à notre contexte gagneraient à être multipliées pour l’amener le plus loin possible. Mais il y a aussi le livre numérique pour lequel, il est toujours possible, d’explorer des pistes innovantes de la part des auteurs et des éditeurs, de manière à permettre aux détenteurs du smartphone le plus basique de lire en mobilité. 

La lecture

En diversifiant les points de contact du livre avec les lecteurs potentiels citadins et ruraux à travers le pays, cela renforcerait l’intérêt pour la lecture. Encore une fois, dans chaque mairie les habitants méritent d’avoir une bibliothèque municipale. Cela est tout à fait possible, car on ne demande pas à ces municipalités d’avoir des moyens colossaux pour des locaux et des livres ; de simples initiatives de collecte en local et à l’international donnerait déjà de solides résultats. Tout en continuant à multiplier les événements au cours desquels les auteurs et les livres rencontrent le public, un symbole fort en matière de littérature sera de créer ou de mettre à sa juste mesure une grande bibliothèque nationale, majestueuse et gérée de manière professionnelle. Elle intégrerait de nombreuses activités et la communication autour du lieu et du livre devrait être attrayante et massive. La grande bibliothèque nationale compléterait l’offre de nombreux centres culturels étrangers avec un accès conséquent à des livres produits et diffusés localement.

Évidemment, la société civile et le secteur privé ont un rôle primordial à jouer comme cela est déjà le cas dans les prises d’initiatives. Il faut clamer à nouveau que toutes les parties prenantes susceptibles de booster la lecture doivent s’impliquer dans cette mission. Parfois même, le secteur privé doit courageusement pallier les insuffisances du secteur public.

L’ultime effort est pour les auteurs ; il y a encore des actions à mener dans la promotion de leurs ouvrages, et ceci quel que soit le mode d’édition choisi. Il est aussi possible de s’intéresser des thématiques locales, nouvelles et vivifiantes. Il y a tant de choses à dire chez nous, tant d’histoires encore à raconter.

En définitive, il ne faut pas se fier aux apparences d’un âge d’or de la lecture au Cameroun à jamais révolu ; il ne faut pas non plus donner carte blanche à un certain pessimisme qui voudrait que les gens n’aient jamais été des férus des bouquins chez nous. Pour cerner ce qu’il se passe réellement, il faut lire de près les attitudes des différents acteurs de la chaîne du livre. Au vrai, ce n’est pas que les gens n’aiment pas lire, il faut simplement mettre entre leurs mains, les livres qu’ils aimeraient avoir. On arrive à ce niveau en amplifiant qualitativement et quantitativement l’offre. Avec cela, la mort annoncée de la lecture au Cameroun n’aura jamais lieu. Au contraire !  

Joseph MBARGA ( Chroniqueur)

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