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LETTRE OUVERTE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN

Une voix de la jeunesse camerounaise s’élève ! Un jeune Camerounais a pris la plume pour adresser une lettre ouverte au Président de la République, Son Excellence Paul Biya. Dans cette missive, il exprime ses préoccupations, ses espoirs et ses attentes pour l’avenir du Cameroun. Nous vous proposons de découvrir son message, empreint de sincérité et de conviction

Son Excellence, Monsieur le Président de la République, l’annonce de la rédaction de cette lettre chez mes proches a suscité en eux de vives émotions. Pour certains, c’est une peine perdue, car elle n’aura aucun effet ; pour d’autres, ce serait presque suicidaire de m’aventurer dans cette voie. Lorsqu’on connaît le sort qui a été réservé à plusieurs journalistes et citoyens de notre pays pour s’être exprimés, on est tenté de leur donner raison. Leur crainte peut être justifiée. Surtout lorsqu’il s’agit de la plus haute personnalité du pays. Toutefois, je continue de croire, dur comme fer, que dans mon pays, il y a encore une once de liberté d’expression et d’ailleurs, ce que je m’en vais vous dire, c’est dans la courtoisie et avec tout le respect qui vous est dû.

Je sais, le canal pour délivrer mon message n’est pas très adapté. J’aurais tellement souhaité vous rencontrer, mais connaissant votre agenda surchargé et la très grande difficulté qu’il y a à obtenir un rendez-vous avec vous, je me suis résigné à cette voie-ci, à écrire une lettre sur Facebook qui, je sais, sera relayée jusqu’à vous. Mon vœu le plus cher est qu’elle vous trouve en très bonne santé. Recevez d’emblée mes vœux les meilleurs pour l’année 2025.

Installez-vous donc confortablement sur un canapé et lisez. Je serai très long. C’est d’une importance capitale d’être le plus clair et détaillé possible ! Pour être plus proche de vous et transmettre fidèlement les informations que j’ai à vous livrer, je vais me permettre de vous tutoyer. Privilégions donc, Monsieur, la relation d’un fils qui s’adresse à son père, plutôt que celle d’un citoyen à son chef d’État.

Alors, très cher papa, notre pays, le Cameroun, est malade. Comme Général Valsero l’avait dit dans sa lettre écrite en octobre 2008, qui t’était destinée, « Notre pays va très mal ». Tu es presque absent, je ne me rappelle pas de la dernière fois que tu as visité l’entièreté de notre territoire. C’est la raison pour laquelle je me dois de te faire part de ce qui s’y passe depuis belle lurette. Permets-moi d’insister uniquement sur les points que je trouve les plus critiques, les plus sensibles et les plus urgents, car faut que tu le saches, aucun secteur ne va bien. Ceci ne sera certainement pas une répétition, car je suis persuadé que ces personnes qui te rendent compte de la situation du pays, de notre situation, tronquent et biaisent la réalité. Sinon, j’ai la ferme conviction que tu ne resterais pas aussi silencieux.

Sais-tu, cher père, que l’éducation dans notre pays a pris, il y a bien longtemps, un sacré coup ? Je serais modéré si je te disais que c’est une calamité ce qui se passe. L’éducation dans notre pays se meurt ! Ils ont réussi à travestir ce pan le plus sensible dans un pays qui se veut prospère : l’Éducation. Tout ceci a débuté comme un jeu, sous nos yeux, sous les tiens, et aujourd’hui, la situation est hyper alarmante. Elle est à son pic ! Lorsque la corruption exagérée, le favoritisme et le népotisme ont été les seuls moyens pour certaines personnes d’avoir accès à des écoles normales, il va de soi que le niveau d’instruction de nos jeunes concitoyens soit aussi bas de nos jours. Le mérite, la recherche de l’excellence, le goût de l’effort et du travail ne sont plus les valeurs prônées par ceux-là qui ont la charge des ministères de l’éducation. Presque tous n’ont visiblement qu’un seul objectif : abrutir la jeunesse camerounaise. Pourtant, celle-ci est, comme tu le dis dans la majorité de tes discours, le fer de lance du pays. L’avenir de ce dernier est entre leurs mains. Mais quelle jeunesse forme-t-on aujourd’hui ?

Dans les établissements scolaires publics, de nombreux enseignants , parce qu’ils se sont retrouvés là-bas par des voies illégales, n’ont aucun réel niveau. Comment je sais tout cela ? J’ai eu un scoop chez mon ancien camarade d’amphi qui, après avoir obtenu une licence en géographie (et ayant un background littéraire), a réussi à se payer une place à l’École Normale Supérieure dans la filière Mathématiques. Surprenant, n’est-ce pas ? Aujourd’hui, il est enseignant de mathématiques dans un lycée du Cameroun. Que peut-il réellement dispenser comme savoir dans ce cas, cher papa ? Les exemples dans ce genre sont légion !

D’un autre côté, et c’est tout aussi alarmant, les enseignants les mieux formés, qui ont réellement la vocation de ce métier ô combien noble et important, sont, pour la grande majorité, démotivés et découragés à cause des très mauvaises conditions de travail. À plusieurs reprises, ils t’ont interpellé, ils ont interpellé leur ministère de tutelle sur la nécessité de régler ces problèmes, mais à chaque fois, ceux-ci ont reçu comme réponse du mépris et une condescendance notoire.

Aujourd’hui, ils sont nombreux à démissionner pour immigrer vers d’autres horizons ou à postuler dans des établissements privés où moins de 10% de la population de notre pays peut avoir accès.

Ces personnes de mauvaises augures, certaines tapis dans l’ombre, n’ont donc rien à perdre à voir perdurer la situation, car elles ont les moyens de payer des écoles internationales à leurs enfants, ou mieux, de les envoyer fréquenter ailleurs.

L’une des conséquences les plus directes de cette légèreté frappante dans l’éducation aujourd’hui, c’est le haut niveau d’incivisme qui anime de plus en plus les Camerounais. Violences scolaires, mépris et manque de respect envers les parents et aînés, délinquance juvénile, agressions, banditisme dans les rues, alcoolisme, drogue, dépravation des moeurs, tels sont les domaines dans lesquels la grande majorité de notre jeunesse se démarque aujourd’hui. Désormais, dans nos établissements scolaires, les enseignants sont méprisés, insultés, tabassés et même tués par leurs élèves. Le taux de violences en milieu scolaire, en milieu jeune, est inquiétant et très alarmant. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on apprenne qu’un jeune a commis un délit, un acte de violence sur son camarade, sur son enseignant, sur son voisin ou encore sur son parent.

Nous naviguons dans un océan de maux. Les jeunes sont presque perdus. Ils ne sont friands désormais que de ce qui ne participe qu’à les détruire. Entre excès d’alcool, jeux de hasard et drogue, le choix est vite fait pour eux. Toutes les valeurs essentielles de la vie, notamment le respect, le travail acharné, la loyauté, l’amour, le pardon, la bienveillance, la tolérance, susceptibles de construire un citoyen modèle, ont presque disparu pour laisser place dans le cœur de la majorité des camerounais à une haine viscérale, une rancoeur incroyable, une cupidité notoire, un manque d’humanité criard, un grand niveau d’intolérance et surtout un esprit de désinvolture qui fait peur ! On ne construit pourtant un pays qu’avec des valeurs. De vraies valeurs. Tu le sais, papa.

Si la responsabilité de ces jeunes dans ce qu’il convient d’appeler une crise sociétale est bel et bien établie, il faut dire que celle-ci est en grande partie liée au fait que vous avez tous ou presque démissionné de vos prérogatives régaliennes. Oui, papa, toi en chef de liste. Si cette société va si mal, si cette jeunesse est devenue l’ombre d’elle-même, c’est parce qu’ils sont presque abandonnés à eux-mêmes, à leur propre sort.

L’éducation à la morale et à la citoyenneté, l’encadrement réel et optimal des jeunes, la lutte contre les déviances ne sont vraisemblablement pas/plus une véritable préoccupation pour vous, car, faut-il le dire, très peu d’initiatives dans ce sens sont menées au quotidien. D’ailleurs, la dernière en date, le projet d’éducation à la citoyenneté à travers les réseaux sociaux initié par le Ministère de la Jeunesse et de l’Éducation Civique, auquel j’ai été associé comme plusieurs centaines d’autres Camerounais, n’est jusqu’à ce jour effectif que sur des papiers et des rapports. Depuis janvier 2023, nous attendons d’avoir l’accompagnement nécessaire (et promis) pour mener de façon optimale cette mission.

Très cher père de la nation, ainsi va cette nation désormais. Ainsi vont les projets dans notre pays. Ceux-ci, même si très peu nombreux, sont le plus souvent bien pensés en faveur des jeunes, mais dans 70% des cas, l’implémentation n’est guère effective.

Il est nécessaire et d’ailleurs, très urgent de regarder cette situation de près. Auquel cas, l’avenir de notre pays ne sera que flou. On sera d’ici peu bourrés d’une population de cancres et de pseudo-citoyens.

Par ailleurs, un point aussi sensible que les précédents : le taux de chômage dans notre pays. M. le Président, ces jeunes qui, malgré toutes les lacunes que présente notre système éducatif et l’environnement difficile dans lequel nous évoluons, parviennent à être bien formés, peinent à trouver un emploi décent, bien après. La situation est criante. Difficile de trouver ne serait-ce qu’un stage, quoiqu’on soit bien formé. Le plus souvent, l’accès à certains postes, malgré nos compétences, est conditionné par certaines pratiques peu orthodoxes.

Je sais, tu me diras qu’à plusieurs reprises tu nous as demandé d’aller cultiver la terre, et parfois de nous auto-employer. Mais aussitôt, je me dois de t’informer que même ces voies sont désormais difficiles d’accès. Très difficiles, d’ailleurs.

Difficile d’être un jeune diplômé dans notre pays. La plupart trouvent refuge dans des activités dangereuses, le benskin en l’occurrence. Ils sont nombreux, ces jeunes-là, qui après une licence, un Master et même un Doctorat, se retrouvent en train de faire la moto à Ndokotti. Je dois te le répéter : un métier hyper dangereux. Ils sont exposés à la fois à des maladies et à des accidents de la circulation.

Aussi, sans toutefois justifier ou cautionner de tels actes, je te dirai même que c’est ce manque d’emploi exacerbé qui est en partie à l’origine de la flambée du banditisme et des actes d’agression dans nos villes. Car oui, l’oisiveté, l’inaction et la flânerie conduisent le plus souvent à cet état de choses.

Aujourd’hui, tout jeune diplômé, bien formé mais au chômage, n’a qu’un seul objectif : partir de son pays. Partir loin de sa patrie, partir loin de sa famille et de ses amis pour tenter de réaliser ses rêves. Pour tenter de s’en sortir. Le taux d’immigration a connu une hausse drastique ces dernières années. La fuite des cerveaux de notre pays est désormais un problème alarmant. Ce n’est qu’ailleurs que tous veulent se réfugier désormais. L’Allemagne et le Canada sont les destinations les plus prisées. D’ailleurs, désormais un dicton populaire stipule que « Tout Camerounais est un Canadien qui s’ignore » ou encore que « Le Canada est la onzième région du Cameroun ». Ceci a tout l’air d’être drôle, mais je peux t’avouer, cher papa, que c’est dramatique.

Je ne t’apprends rien ! Notre pays est le pays le plus béni de l’Afrique. C’est avec beaucoup de prétention qu’on se doit de le dire. De ses ressources naturelles à celles humaines, nous n’avons rien à envier à qui que ce soit. Mais le comble, la tragédie de l’histoire, c’est que malgré cette richesse incroyable, nous peinons à sortir la tête de l’eau depuis des décennies. Ça fait pleurer de savoir qu’en 2025, pour tenter de réussir, qu’on soit encore contraint d’immigrer vers l’Occident. C’est pénible, c’est très douloureux.

Mais pour l’heure, on n’a pas de choix, cher père. Moi, je te le confie : j’ai joué à la loterie américaine. Et je vais la gagner. J’aime mon pays, comme de nombreux autres Camerounais. Nous aimons notre patrie. Nous avons un amour inconditionnel pour cette nation pour laquelle Ruben Um Nyobe s’est battu au prix de sa vie. Mais là, il en va de notre survie. Nous avons assez de voir moins de 10% de la population profiter d’une richesse commune. Le Cameroun n’est la chasse gardée de personne, et tu le sais. Nous en avons un peu marre de quémander ce qui nous revient de droit. Alors, si c’est ailleurs que nous allons trouver un peu d’amour et de réconfort, même si ça fait mal, on s’en ira. Et tu dois le savoir : si tu ouvres les frontières du pays aujourd’hui, demain, il ne restera que ces 10% dont je parlais plus haut. Je te dévoile des faits. Aussi graves qu’ils soient. À toi de voir et de prendre des mesures fortes.

Je ne saurais manquer l’occasion de te faire part d’une situation aussi inquiétante qu’urgente ! La vétusté et le très mauvais état des routes dans notre pays. Celles-ci sont devenues des hécatombes. Les accidents de circulation mortels sont à plus de 70% dus au très mauvais état de nos routes. Ces routes ne méritent d’ailleurs plus d’être appelées comme telles. Ce sont des mouroirs. Aucune route nationale de notre pays n’est en bon état, pourtant sur des documents, seul leur entretien coûte des centaines de milliards à l’État du Cameroun. En début de cette lettre, j’ai fait mention d’une catégorie de personnes de mauvaises augures, dont vraisemblablement le seul objectif est de placer notre pays dans une situation chaotique. Ce sont elles qui détournent pour leurs intérêts égoïstes et machiavéliques les différents budgets alloués à la fois pour la construction des routes et leur entretien.

Aujourd’hui, faire un voyage par voie terrestre est tout un chemin de croix. Je ne souhaite pas que tu t’y aventures ! C’est pénible, difficile, d’ailleurs, ça fait peur. Toute personne avant de se déplacer sur ces routes n’a pour seul allié que la prière désormais. Pourtant, vous avez la charge de la sécurité des personnes et des biens !

Cher patriarche, je pourrais épiloguer ainsi avec toi sur une pléthore d’autres aspects mais pour celà, il faudrait plus qu’une lettre ; Car que ce soit l’accès à l’eau potable, l’électricité, le sport, l’économie, l’art, la culture, la sécurité, etc, aucun secteur dans notre pays ne se porte bien. Nous ne vivons pas. Nous survivons.

Je ne peins pas en noir notre pays. Non ! Je te décris la situation telle qu’elle est aujourd’hui. Car à avoir écouter ton discours du 31 janvier 2024, tu feins de ne pas connaître cette désormais réalité des choses. Je ne suis non plus partisan de la théorie du chaos. Mais je puis te dire que c’est vers ce chaos que nous nous acheminons si des mesures fortes et des actions concrètes ne sont pas menées. Je parle bien d’actions immédiates et concrètes. Car nous avons marre de tes nombreux discours qui n’ont fait que sonné creux depuis lors.

Dans quelques mois, nous serons une fois de plus appelés à choisir notre chef d’Etat. Tout porte à croire que tu seras candidat pour une énième fois. Une fois de trop. Autant mieux te le dire déjà: Je ne voterai pas/plus pour toi. Si tu tiens à ce que les autres jeunes qui, contrairement aux précédentes élections se sont inscrits en masse sur les listes électorales (et continuent de le faire), t’écoutent ne serait-ce que pendant cette période-là, tu dois agir maintenant. Agir bien évidemment en faveur de ceux là. Pour résorber leurs problèmes dont je viens d’en faire une ébauche.

Mais en ce qui me concerne, cher papa, je ne crois pas que tu pourras encore me convaincre ! J’estime qu’à 93 ans, tu es fatigué. Tu dois aller te reposer et laisser un vent nouveau souffler sur notre pays qui meurt par asphyxie.

Sache que c’est parce que j’ai beaucoup d’amour pour toi et pour notre pays que je me suis permis d’écrire cette lettre et d’être relativement long. Beaucoup pensent pareil mais n’osent pas le dire. Vois donc en ceci un geste d’un jeune con-citoyen qui tient à participer, à sa façon, à la reconstruction de son pays.

Avec toute ma sympathie, mon respect et mon admiration,

KOWA DJIEPDO Léonel Richy

E-Volontaire Patriote des Réseaux Sociaux auprès du MINJEC

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