On n’accorde pas une place à la femme, elle prend celle qui lui convient.
Romancière et poétesse camerounaise, elle mène essentiellement le combat de la participation de la femme dans l’espace politique.
De plus en plus, les femmes s’intéressent à la littérature et vous en faites partie. Pouvez-vous nous parler de vous et principalement de votre récent ouvrage Comme une reine ?
Je suis Ernis, romancière et poétesse Camerounaise. J’écris sur la tradition, la transmission, les luttes et le rôle des femmes dans la société africaine post-coloniale. J’ai grandi avec plusieurs générations de femmes combattantes et silencieuses : mon arrière-grand-mère, ma grand-mère et ma mère. Je suis une femme assez libre, intéressée par les questions décoloniales et je milite activement pour la reconnaissance et la participation des femmes rurales et de toutes les femmes des couches minoritaires dans l’espace public.
Mon premier roman qui s’intitule Comme une reine, publié chez J-C Lattès en 2022, explore justement les vies intimes et politique des générations de femme en pays Bamiléké. Il offre à son lecteur une nouvelle conception des questions de tradition, de coutumes dans un contexte post- colonial et remet à sa façon en cause l’idée de la modernité comprise aujourd’hui comme l’ultime universel. C’est un roman qui s’intéresse à la participation des femmes dans la structuration des sociétés traditionnelles et leur impact sur le devenir de ces mondes.
Quel est votre sentiment en tant que femme auteure à l’égard de toutes celles qui se lancent dans la littérature ?
Les femmes dans le monde ont eu accès à l’écriture très tard mais cela ne remet pas en cause leur engagement pour leurs conditions et pour la transformation de la société entière. Je précise que les femmes Blanches par rapport aux femmes Noires ont eu le privilège, la potentialité matérielle d’écrire et de publier un peu plus tôt leurs textes, c’est-à-dire à partir du 18e siècle. Elles pouvaient le faire parce qu’elles avaient des personnes autour d’elles à qui elle déléguaient le travail de tous les jours, le travail du soin, le ménage, la garde d’enfants, et ces personnes étaient la plupart du temps des femmes noires, des personnes esclavagisées. Après les années soixante, début années soixante-dix, on note une vraie éclosion de la littérature africaine, féminine et diversifiée. Je pense à Amita Sow Fall, Awa Thiam, Mariama Bâ, Ken Bugul et toutes ces autres écrivaines africaines qui ont ouvert la voie et aujourd’hui, l’Afrique peut être fière d’avoir des écrivaines comme Hemley Boum, Calixte Beyala, Béata Mairesse, Charline Effah et bien d’autres.
Bien sûr avant les années soixante-dix, les femmes avaient des récits qu’elles transmettaient à leurs manières, dans leurs luttes et leurs engagements de tous les jours, mais les récits masculins étaient dominants à cette époque, et restaient d’ailleurs ceux qui méritaient d’être publiés. Je pense notamment aux femmes et reines des pays bamilékés à l’Ouest-Cameroun qui ont toujours été conscientes de ce qu’elles donnent au monde et des contraintes liées à leurs existences.
Quel regard portez-vous sur les autres actrices de la chaîne du livre (éditrices, promotrices littéraires, etc.) ?
Je ne sais pas si on peut parler clairement de chaîne, mais on ne peut pas ignorer le travail des femmes et des hommes qui se consacrent à la cause littéraire. Beaucoup reste à faire, avec un peu de volonté, nous y parviendrons. Je me refuse de porter un jugement sur tel ou tel autre acteur de notre vie littéraire. J’ai observé le système et je sais qu’il peut ne pas être toujours favorable, je peux me tromper. Je pense qu’il y a une vraie volonté de transformation de notre société par la littérature. Sans dédouaner les mercenaires qui ont capitalisé le domaine, je me dis qu’il faut croire en chaque acteur du livre et faciliter la bonne production et la distribution. Mon vœu le plus cher reste l’existence des bibliothèques municipales fonctionnelles au Cameroun.
Quelle est selon vous la place accordée à la femme dans la littérature africaine ?
On n’accorde pas une place à la femme, elle prend celle qui lui convient. Cela dit, les femmes africaines s’écrivent. Elles ne peuvent surtout plus courir le risque de laisser les hommes les écrire. Chacun est le héros de sa propre histoire. J’accuse certains écrivains hommes de mal écrire les femmes tout comme les Blancs écrivent mal les personnes esclavagisées. Chaque dominant à son donné et le dominé pour s’affranchir doit arracher la parole et raconter son histoire avec ses propres mots. En fin de compte, les femmes ne restent pas à attendre qu’on leur accorde une place dans la littérature, elle se font de la place.
Quelles sont les difficultés et les défis auxquels vous faites généralement face en tant que femmes ?
Il y a un écrivain adulé qui m’a dit un jour que les femmes racontent les histoires basées sur les désarrois pour émouvoir. J’avais compris dans cette basse pensée l’idée de la classification de la littérature encore soutenue par certains aujourd’hui, c’est-à-dire qu’il existerait une littérature virile qui raconte la politique, les guerres, les sciences et une autre littérature faible qui ne traite que du chaos social. J’ai les problèmes de toutes les écrivaines, de toutes celles qui m’ont précédée. Mais au fond, je me considère comme une femme sans problème, une chanceuse, puisque toutes ces pensées aux relents antagonistes viennent m’éprouver certes, mais surtout m’aider à rester la femme que je suis déjà. On ne change rien.